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samedi, 02 septembre 2006

René Dutrey

La première personnalité politique à avoir accepté de répondre à nos questions est à la fois Président du Groupe Vert du Conseil municipal et Premier Adjoint à la Mairie du 14e.

 

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Quel est votre sentiment général sur ce dossier ?

 

D’abord je tiens à dire que c’est un dossier qui me tient à cœur pour une raison toute personnelle : j’étais gamin scout dans le 14e arrondissement, avec ceux que l’on a appelé les scouts de l’abbé Keller. La ferme était notre lieu de rendez vous et notre terrain de jeu. Et puis, l’Eglise a décidé de vendre les terrains et s’est retirée progressivement de toute activité sociale dans le 14e.

Avec une poignée de copains et de jeunes du quartier, nous avons alors décidé de rester et de continuer à faire vivre le lieu. Nous avons créé un espace de création avec un studio de répétitions, des portes ouvertes le samedi après midi. Nous avions même mis en place un atelier d’arts plastiques qui nous servait à fabriquer des décorations pour les fêtes que nous organisions !
On est restés un an et demi à peu près sur le site, sans aucun problème d’ailleurs, puisqu’on entretenait de très bonnes relations avec les voisins et les gens du quartier.

Du jour au lendemain, nous avons été expulsés manu militari, non pas par des forces de police, mais par des gros bras, qui étaient alors très certainement rémunérés par le promoteur, le Groupement Foncier Français qui avait acquis la ferme à l’époque. Cela avait été assez violent d’ailleurs ! C’était au cœur des années 80. A cette époque les méthodes « barbouzardes » étaient assez répandues. Elles le sont moins aujourd’hui, même si on peut s’interroger sur la série d’incendies criminels ayant touché des immeubles insalubres au cours de l’année dernière. L’expulsion reste un événement que nous avons très mal vécu. La violence de l’action nous a beaucoup marqués.

Après ce lamentable épisode, je m’étais tourné vers la Mairie du 14e pour demander des locaux pour les jeunes. C’était la première fois que je rentrais dans la Mairie du 14e et je me suis rapidement fait envoyer promener par un sympathique élu du RPR. Ca a été le déclencheur de mon engagement en politique. Je me suis dit qu’il y avait vraiment un problème dans le 14e arrondissement et qu’il fallait agir.

Par la suite, dans les années 90, j’ai suivi la lutte sur la Ferme, sans être trop impliqué. Mais j’ai tout de même suivi les combats menés par le premier collectif de très près, puisque j’étais moi-même associatif en lutte sur la défense du marché couvert de la rue Daguerre. Dans ce contexte, j’avais également participé à la création de la coordination et liaison des associations de quartier à Paris, qui rassemblaient l’ensemble des associations en lutte sur Paris contre des promoteurs ou contre des opérations publiques destructrices. A ce titre là, j’avais eu l’occasion de suivre les associatifs qui se battaient, à l’époque, sur le site.

Au lendemain des élections municipales de 2001, suite à laquelle j’ai été élu à la Mairie du 14e, la visite de la ferme de Montsouris a été la première visite qu’on ait faite avec Romain Paris, adjoint Vert chargé de l’urbanisme. La situation était alors assez catastrophique : quasiment toutes les autorisations d’urbanisme avaient été délivrées, l’avis favorable du Maire du 14e avait été signé entre les deux tours de l’élection…Le dossier était quasiment bouclé et tout était enclenché pour que soit réalisée une opération de promotion qui déstructurait et détruisait la plus grande partie du site, en tout cas, tout son intérêt patrimonial.

A partir de ce moment là s’est engagé un rapport de force tant au sein des institutions qu’à l’extérieur. De son côté, le Collectif maintenait une pression constante sur le promoteur, la Mairie de Paris et la préfecture. Et Romain Paris et moi-même, en tant qu’élus, nous faisions tout pour obtenir que la Ville de Paris ne laisse pas réaliser cette opération de promotion. Nous étions bien seuls en 2001, à ma connaissance, il n’y avait que les Verts qui s’étaient positionnés sur ce dossier. Par la suite nous avons continué à maintenir et renforcer notre position. Quant à l’Hôtel de Ville, les avis n’ont pas du tout été homogènes mais plutôt fluctuants selon les différents stades du dossier. Les récents avis rendus sur le dernier projet de la Soferim par Jean Pierre Caffé, adjoint à l’urbanisme, Jean-Yves Mano, adjoint au logement se sont tous montrés favorables. Toutefois, le Maire de Paris a heureusement arbitré dans notre sens en refusant le projet présenté par la Soferim. Force est de constater aujourd’hui que la Soferim a de très bons appuis au sein de l’Hôtel de Ville. Elle profite sans doute des quelques réseaux, issus de l’ancienne mandature, qui existent encore au sein de la Ville de Paris. Voilà pour l’histoire.

Mais pour répondre à votre question je pense que le 26 rue de la Tombe Issoire est un site d’un intérêt patrimonial et historique évident. La superposition de trois niveaux de patrimoine, trois niveaux de mémoire : la carrière, l’aqueduc et la ferme en fait un site exceptionnel. Trois niveaux auxquels on peut même ajouter l’immeuble et la forme urbaine générale typiquement faubourienne. Et tout ceci dans un état de conservation étonnant ! La carrière est intacte, l’aqueduc également intact, la ferme est restée quasiment dans son état d’origine, et la forme urbaine apparaît parfaitement conservée… De 25 mètres sous terre à 20 mètres au dessus, c’est ce que j’appelle un mille-feuilles historique. Voilà l’intérêt du dossier.

 

Le Collectif plaide pour une protection au titre des Monuments Historiques ou pour une Protection Ville de Paris, de la dernière ferme de Paris (c’est-à-dire de la grange, de l’immeuble sur rue du 26 qui est l’entrée de cette ferme de ville, de la cours de ferme, du Pavillon Troubadour, de la Maison des Vachers et de l’aqueduc Gallo-Romain). Qu’en pensez-vous ?

 

La protection la plus efficace, qui permettrait réellement de sauvegarder le site, c’est la protection des Monuments Historiques. C’est ce qui avait sauvé la carrière à l’époque. Ce genre de protection devrait correspondre à ce type de site. Mais la difficulté se trouve dans le fait que le Ministère de la Culture ne considère pas comme intéressant et digne d’une protection particulière le patrimoine du 19e siècle. Ils sont restés un petit peu bloqués au 18e siècle.

Après, au niveau de la Ville de Paris, la Ferme n’a été que partiellement protégée lors de l’adoption du Plan Local d’Urbanisme, puisque le 26, rue de la tombe Issoire et le coté villa Saint Jacques, excepté le pavillon troubadours, ne font l’objet d’aucune mesure de protection. En tant que Verts, nous n’avons pas voté le PLU, donc à ce titre, nous ne nous sentons pas responsables ni de son contenu ni de ses effets futurs, sur lesquels nous avons de vives inquiétudes.
L’absence de volonté de maîtriser la spéculation immobilière risque d’avoir des répercussions catastrophiques aussi bien sur le prix des logements, que sur le patrimoine. Le nombre insuffisant de protection de bâtiments sujets à la pression foncière fait peser sur eux une menace à court terme.

Les « Protection Ville de Paris » instituées par ces listes sont malgré tout des protections intéressantes parce qu’elles viennent remplir une carence de protection du patrimoine du 19e siècle. Mais il faut se rappeler qu’elles peuvent être remises en cause très facilement. Le PLU, et par conséquent la liste des bâtiments protégés, peuvent être modifiés sur un simple vote du conseil de Paris.
Pour conclure, si une modification du PLU devait intervenir, le groupe Vert déposerait un amendement de protection de l’intégralité du site.

 

Le Collectif se bat pour une restauration de tous les bâtiments de la parcelle. Qu’en pensez-vous ?

 

Je suis favorable à une restauration du site. Mais il faut savoir ce que l’on entend par là et quelle formule d’organisation du projet peut correspondre à une restauration.

La création de logements sociaux et d’équipements comme la Ville de Paris a l’habitude de le faire ne pourra correspondre au respect du patrimoine du site et donc à une restauration. Une procédure classique au sein de la Ville de Paris implique une rigidité du point de vue du cahier des charges. Les modalités de financement du logement social sont particulièrement contraignantes et ne permettront pas d’engager une véritable restauration des bâtiments, mais au mieux une simple réhabilitation. Il faut savoir que le logement social ne peut pas dépasser un certain coût au m² -  Pour en réaliser sur ce site, il va falloir se montrer créatif.

C’est pour cela que je préconise pour ma part, d’explorer les pistes de « l’auto réhabilitation » du site, une forme de réhabilitation autogérée. Il existe déjà des projets en France qui fonctionnent ainsi.
On pourrait créer un comité de pilotage avec le Collectif, la Ville de Paris et le Ministère de la Culture, si le site s’avérait réellement protégé. Il sera alors possible d’établir un cahier des charges de restauration, combinant les obligations d’une restauration et l’utilisation future du lieu.

Quand à l’utilisation future du lieu, je crois qu’il y a deux choses essentielles qu’il faut garder en tête pour conserver l’esprit de ce site : d’une part, le fait qu’il a toujours été ouvert sur l’extérieur ; d’autre part que trois types de mémoire s‘y rencontrent : la mémoire des pierres, la mémoire de l’aventure de l’Abbé Keller, et la mémoire de la lutte. Je crois que ça peut être le cadre d’un pré-cahier des charges du futur projet.

Alors après quand on a dit ça, qu’est-ce que pourrait être concrètement ce futur projet ? Bien sûr on pense d’abord à la mise en valeur de l’aqueduc et de son histoire et l’ouverture au public de la carrière de Port-Mahon. Sur la partie mémoire de l’Abbé Keller, il y a quelque chose à imaginer, pourquoi pas avec une partie de l’église qui se reconnaît encore dans ce qu’a pu être l’action sociale des paroisses dans le 14e notamment pour le logement des plus démunis. Sinon il faudra se tourner vers des associations laïques qui œuvrent dans le domaine du logement social. Et puis pour la mémoire de la lutte, l’idée d’un centre de ressources parisien pouvant venir en aide à des associations confrontées au même type de projet ailleurs dans Paris pourrait permettre de respecter la continuité de ce qui s’est passé sur ce site. Enfin, pour la ferme, on a envie d’y revoir des animaux et des plantations : il faudrait y créer un jardin partagé et pourquoi pas un poulailler dans la cour !

 

Voulez-vous ajouter quelque chose ?

 

Le patrimoine ce n’est pas que les vieilles pierres. C’est aussi ce qui s’est passé dedans, il est indissociable des personnes. Il faut bien regarder le passé pour comprendre l’avenir. La pierre et l’homme restent ainsi intimement liés.

 

Nous vous remercions